Feeling's unknown and you're all alone
Flesh and bone by the telephone
Lift up the receiver
I'll make you believer
I will deliver
You know I'm a forgiver
Reach out and touch faith
Your own Personal Jesus
Reach out and touch faith... »
Depeche Mode, « Your own
Personnal Jesus », 1989
Content d'avoir acheté ce matin au
village des chaussures de marches soldées 25 au lieu des 95 euros
qu'elles coûtaient initialement, je m'élance d'un pas gaillard et
hardent sur la départementale. Un pas qui s'il est dynamique et
résolu, est souvent interrompu comme d'habitude par ma manie de
photographier tout et n'importe quoi (paysage de montagne magnifique
coiffé d'un ciel nuageux aux formes pommelées sombres et mouvantes
mais aussi boîte de Cacolac écrasé, couvercle de boîte de
conserve rouillé), ce qui brise indéniablement le rythme de la
marche et une possible harmonie contemplative et fusionnelle avec le
paysage. Bref une expérience physique et spirituel qu'il est
préférable que j'accomplisse seul, tant le « chemin vers le
bonheur » est chez moi une expérience physique et
« spirituelle » hachée, irrégulière, sinueuse sinon
tortueuse, qui comme toute balade avec moi peut lasser mes compagnons
de marche (sauf, bien sûr, s'ils pratiquent aussi la photo)...
Quelques grosses gouttes de pluie sournoises, sporadiques
mais de plus en plus insistantes, confirment d'emblée ce que la
radio avait annoncé : une météo peu clémente et je ne
regrette pas d'avoir emporter mon vieux K-Way en boule dans mon sac à
dos (à l'intérieur il y aussi L'usage du monde (1963) de
Nicolas Bouvier trouvé il y a trois semaines dans la rue à Paris,
magnifiquement illustré des dessins de Thierry Vernet,
connaissaient-ils et aimaient-ils dans les années 1950 - d'ailleurs
avait-il été écrit et publié - La vie mode d'emploi de
George Pérec ?), j'allais vite m'en vêtir. J'accélère un peu
le pas. Un pas devant l'autre, lent et assuré, un pas devant
l'autre, etc. en faisant attention aux cailloux et racines du
bas-côté qui pourrait mettre mes chevilles en souffrance.
J'ai mémorisé cette citation de
Bouvier imprimée sur la quatrième de couverture de mon édition de
poche : « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde
pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on qu'on va
faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous
défait. » Pareil pour la vie ?...
Évidemment je flâne, m'égare (jadis quel stress, aujourd'hui
quel bonheur), vérifie sur la carte et découvre que je n'ai pas
pris le chemin le plus court malgré le tracé que j'avais
préalablement surligné au feutre Stabilo dans la chambre. Carnets
pyrénéens Texte 4 Qu'importe, après une demie-heure de marche,
l'objectif n'est plus très loin. L'orage menace, chemin à
l'asphalte fissuré monte sinueux vers l'ermitage où je trouverai la
chapelle fermée, à l'exception d'un minuscule bâtiment ; à
l'intérieur c'est si sombre et humide, l'eau du torrent coule sous
mes pieds, une lucarne sur la droite et une modeste statue de la
Sainte Vierge, à ses pieds un angelot et un bouquet de myosotis et,
empilés des lettres demandant de l'aide, du réconfort, et de la
persévérance. Je ne veux pas être indiscret mais j'aperçois : »
Aidez-moi à trouver un travail ». J'y dépose ma carte de
visite avec écrit au stylo bille mon message personnel : on
écrit pas de courriel à Dieu et on ne lui envoie pas de textos non
plus, impossible (j'ai cependant trouvé dans l’aumônerie d'un
hôpital parisien un opuscule qui est une compilation de quelques
textes du Nouveau testament, intitulé « Le portable. Allô...
j'ai une bonne nouvelle... » La couverture montre un téléphone
mobile bien sûr et le livre s'ouvre sur ces lignes : « Vous
avez... 1 mess@ge ! […] Dans la
première partie de ce Portable, des textes de la Parole de Dieu te
présentent la vie et le message de Jésus. Ils sont suivis d'autres
extraits de la Bible avec des indications pour t'aider à en vivre. »
Bon, au moins c'est gratuit et il n'y a pas de risque de spams, de
bugs, quoi que...).
Avant de partir, je prends une photo du bouquet de myosotis et de
l'angelot avec mon appareil Fuji Instax, coup de flash violent,
l'image instantanée totalement grillée qui apparaît au bout de
quelques minutes est l'une des plus mauvaises et ratées que j'ai
jamais réalisées ces dernières années mais aussi sans doute l'une
des plus précieuses et personnelles. Je la conserve, et, bien sûr,
plus pour la deuxième et troisième raison que la première, je ne
la montrerai pas...