lundi 24 septembre 2012

« Je ne peux pas l'abandonner une seconde fois », (Pourquoi collectionner une mémoire anonyme ? La suite)


Anonyme, « Cannes. Juillet 1955 ».
Épreuve gélatino-argentique 9,8 x 7,1 cm 
(coll. Yannick Vigouroux)




La jeune femme pose à côté de sa 2 CV sur le port de Cannes, au dos il est écrit à l'encre bleue : « Cannes. Juillet 1955 ». La photo trouvée sur le Marché d'Aligre ne m'a coûté que 0,50 dimanche dernier. Pourtant, j'ai hésité à l'acheter car ce n'est pas une trouvaille plus intéressante que cela. Il ne s'agissait pas de l'une de ces petites perles épiphaniques qui méritent de figurer dans les publications ou les expositions consacrées à la « photo trouvée ». Je l'ai donc, après l'avoir saisie, redéposée dans la boîte en carton, au milieu du vrac des cartes postales, lettres et prospectus divers. Après avoir brassé en vain des dizaines de morceaux de papier anonymes et sans relief qui ne me « disaient rien » j'ai été pris de remord et j'ai cherché l'image dans la pile, … ouf ! au bout de quelques minutes je l'ai retrouvée, je l'ai regardée à nouveau, et j'ai décidé de la garder. Je ne pouvais pas l'abandonner une seconde fois.

- Vous ne prenez que cela ? M'a demandé le brocanteur, un peu surpris...


Les petits bonheurs perdus des autres sont-ils les nôtres quand on les retrouve ? Peut-être un peu, si l'on parvient à les investir, par la magie du hasard, de son propre affect, de ses propres souvenirs. L'image est transformée par cette relecture et l'image nous transforme aussi. 






© Yannick Vigouroux, « Porto, septembre 2000 », série « Littoralités » / 
« Port de Tanger, s. d. » (carte postale?)




Le « hasard objectif » cher à André Breton existe-t-il ? Je le pense parfois lorsque, cherchant dans mon ordinateur une photographie réalisée en 2000 à Porto que je viens de scanner, je découvre hier cette image de littoral à côté d'elle sur mon écran sans que j'ai jamais souhaité ce rapprochement. Je l'ai capturée il y a longtemps sur Internet, et je ne sais plus pour quelle raison ; j'en ai perdu les références (je ne connais que le lieu et n'y suis jamais allé : le port de Tanger). Elle ressemble tant formellement à celle de Porto !... Étranges affinités et réminiscences qui empruntent des voies sinueuses et inattendues, mais suscitent à chaque fois la même sensation rassurante : l'illusion d'un espace unique et familier retrouvé. « […] nous avons la nostalgie de la continuité perdue... » (George Bataille).

mardi 18 septembre 2012

« Les endormi(es) » (Pourquoi collectionner une mémoire anonyme ? La suite ) »





Anonyme, c. 1880, photo trouvée
 de la série « Les endormi(e)s » (coll. Yannick Vigouroux)





Si ce nouvel album de mes « Photos trouvées » s'intitule « Les endormi(e)s », ses protagonistes silencieux ne le sont pas la plupart du temps pas endormis, mais, cerveau et corps relâchés, s'abandonnent à la douce torpeur de la sieste comme cet homme dans un hamac, ou allongés dans leur lit avant de succomber au sommeil – c'est du moins ce que l'on veut nous faire croire : un moment de pause parfois spontané ou au contraire mis en scène qui est aussi celui de la pose photographique.







Anonyme, c. 1900 photos trouvées,
 de la série « Les endormi(e)s » (coll. Yannick Vigouroux)











Des photos que j'aurais pu publier il y a dix ans si j'en avais connu l'existence dans le numéro de la revue « Simulacres » consacré au sommeil dans l'article « Les métamorphoses du sommeil photographique » :