mardi 18 décembre 2012

Parution des « Littoralités » dans le Kurtzine n° 4, 2012













© Yannick Vigouroux, El Puig, Espagne septembre 1996, 
série « Littoralités »








Road movie
320 x 110 mm
82 pages
Black & white
50 copies
Published by the collective kurt-forever
2012



mercredi 12 décembre 2012

Un littoral brûlé par les sels de mer et d'argent (« Trapani », 2010)






© Yannick Vigouroux, « Trapani, juin 2010 » (série Littoralités)




Lorsque je regarde le grain argentique étrange et désordonné (bien qu'il semble animé d'une logique interne, malgré tout) d' une partie de mes « Littoralités » réalisées dans le port de Trapani en 2010, j'ai de plus en plus le sentiment de me retrouver face au matériau brut d'un rêve éveillé. Celui d'un littoral mental brûlé par le soleil, le vent, les sels de mer et d'argent. Pourquoi aimer tant les friches et les herbes maigres de cette Méditerranée utopique, sans cesse réinventée ? La mémoire me fait souvent penser à un buvard, ou encore à un ressac capricieux, qui absorbe et rejette ce qu'il veut.




mercredi 5 décembre 2012

« Les Trois Frères Fumeurs », ou « Pourquoi collectionner une mémoire anonyme ? La suite)



F. B. Chabert (rue de Paris, Saint-Etienne), Les trois frères fumeurs, c. 1900
Epreuve à l'albumine collée sur un carton 12,2 x 9,2 cm
(Coll. Yannick Vigouroux)





J'ai commenté il y a peu un autoportrait de Marcel Duchamp dans le livre écrit avec Christian Gattinoni, La Photographie ancienne (Nvelles éditions Scala, 2012). Ce que je croyais être au départ un photomontage est en réalité un trucage de fête foraine (celui-ci est connu depuis le XIXe s. sous le nom de « multiphotographie » : plusieurs miroirs forment un prisme qui dédouble la personne). L'image, datant des années 1920, le montre fumant la pipe autour d'une table avec ses « trois doubles » ; j'ai précisé qu'il semble visiblement apprécier sa propre compagnie. L'image est drôle, pleine d'auto-dérision...

Comme je l'ai constaté ce matin en achetant cette image sur une brocante, pas besoin pourtant de recourir à de tels trucages à la fin du XIXe siècle pour formuler la même chose, ou presque, puisque le plaisir n'est pas solitaire mais partagé en famille, avec ces trois frères s'amusant à fumer de concert la cigarette dans un studio photographique de Saint-Étienne. 


Une enveloppe de négatifs trouvés, ou le cluedo du collectionneur de photos trouvées (Pourquoi collectionner une mémoire anonyme ? La suite )



Anonyme, Isère, années 1920
Numérisation d'un négatif 6 x 6 cm





Une enveloppe de négatifs qu'on allait jeter à la fin d'une brocante près de Lyon m'a été confiée il y a quelques jours par Franck, un collègue de travail. Contrairement à l'album de famille qui recèle souvent au crayon ou la plume, de nombreuses indications (prénom, lieu, âge de l'enfant, date...) une enveloppe de négatifs ne livre que peu indices, et ceux-ci ne sont contenus que dans l'image (les précieuses indications qui figurent parfois au dos du tirage font aussi défaut).

« Indice » est le terme qui convient le mieux pour une telle entreprise, car les recherches d'un « collectionneur de mémoire anonyme » s'apparentent souvent à une mini enquête de police. Avant de les numériser, je pose les négatifs sur une table lumineuse et armé d'un compte-fil, comme un joaillier, j'examine les minuscules carrés et rectangles de gélatines argentique. J'observe que les voitures sont souvent immatriculées en Isère (38), qu'elles datent des années 1950. Un homme assis sur une chaise à côté d'une pile de pain fait semblant de croquer à pleines dents dans l'un d'eux. Je peux en déduire que le sac que porte la fillette contient probablement du pain. Ses parents ou des membres de la famille sont-ils boulangers, ou, épiciers, garagistes (« ici donnez vos commandes FUEL POUR TRACTEURS » annonce une pancarte) ? Tiennent-ils un café (je crois lire « BAR ») ? Qu'est devenue cette fillette ? Quel métier a-t-elle exercé ? Née dans les années 1950, elle est sans doute toutours en vie. Est-elle heureuse et se souvient-elle de cet instant ?

Plongé dans ce patient cluedo, j'arrive à recoller et identifier quelques pièces du puzzle, l'histoire muette d'une famille française en milieu rural, dans la France d'après-guerre. A l'enquêteur-collectionneur de lancer un avis de recherche à présent ? En publiant par exemple la photo sur le web ?..

Car cela a déjà porté, involontairement, ses fruits, avec cette image publiée il y a quelques années sur mon blog (un oncle photographié par un autre oncle), et que j'ai expédiée à la nièce de la personne à côté de Lille après qu'elle m'ait envoyé ce commentaire « Je crois savoir de qui il s'agit ») puis communiqué son adresse postal, et expliqué que son oncle Pierrot était un amateur passionné de photographie, qu'il avait ce jour-là fait le portrait de son frère toujours en vie, et que le commentaire à l'encre était de sa main. La photo est donc sortie de l'anonymat après y être tombé quelques années, et a réintégré le giron familial... 

 



Anonyme, "Je suis sérieux et j'y penses [sic],
Labesse [sic], juillet 1967." 
Epreuve gélatino-argentique
(Coll. Yannick Vigouroux # 699)





Voilà en effet ce que j'avais publié sur mon blog après avoir acheté la photo en 2007 :

Parfois, c'est avant tout la légende au dos du tirage qui fait fictionner la photo. En tout cas renforce, quand elle ne contredit pas, au contraire, le contenu strictement visuel . « Je suis sérieux et j'y pense. » a écrit pour lui-même, ou pour son/sa destinataire, l'homme qui se tient appuyé sur une barrière en bois. La pose est en effet plutôt guindée et hiératique. Est-ce cela le « sérieux », et la « pensée », l' « idée » du « sérieux » ? Faut-il comprendre la phrase au second degré ? Je l'ignore, mais l'individu se concentre avec une réelle conviction sur l'idée du « sérieux » ; il tente, à l'évidence, très sérieusement ou plus ironiquement, de l'incarner...

Je n'avais encore aucune connaissance du texte lorsque j'ai chiné la photo. Je n'ai découvert la légende qu'après coup, une fois rentré chez moi. Sur la brocante, je n'avais eu que l'intuition de cela, j'avais perçu ce que « disait » l'image, d'une manière encore floue, tout à fait confuse au milieu de autres clichés que j'ai acheté. Et cet homme, qui est pour moi un parfois inconnu, qui pourrait être en vie aujourd'hui (cette photo est plutôt récente) m'est sympathique, bien que j'ignore tout de sa vie et presque tout de sa personnalité : je sais seulement qu'il avait envie, grâce à la photographie, dans sa tenue vestimentaire décontractée mais pas négligée non plus, simplement classique et néanmoins confortable, d'incarner, sérieusement ou non, l'idée du sérieux.