jeudi 31 janvier 2013

Le polaroid sans nostalgie...




© Yannick Vigouroux,
« Coquillages et os de seiche,
Luc-sur-Mer, Noël 2012 »
(Fuji Instax Wide)






Le polaroid est décidément à la mode, et si j'ai par exemple beaucoup d'affection pour les mélodies naïves et sensibles de mes talentueux confères / consœurs caennais du jeune groupe Granville qui lui rendent hommage dans leur premier album, Les voiles, contrairement à eux, mon attachement au film instantané n'a rien de nostalgique.







La pochette (probablement avec l'application « Instagram ») de leur album est très belle...

Quatre extraits de celui-ci peuvent être écoutés avant sa sortie, la vidéo est un lancinent road-movie en voiture  :




Le dictaphone (titre d'une chanson comme « polaroid »), la camera super-8 ne sont pas seulement des outils mais bien de débonnaires personnages mécaniques surgi du passé de leurs parents, bien plus que celui des musiciens.
 





© Yannick Vigouroux,
« Flux de conscience, 1993 »
(Polaroid 600, coll. de l'ARDI - Caen)






Dans ma première série de polaroids, « Flux de conscience », réalisée en 1992-1993, j'ai justement eu parfois recours à un dictaphone pour enregistrer la voix de mes amis. J'ai aussi parfois mis en scène leurs paroles à l'aide d'un magnétophone posé sur le sol, dispositif qui a selon moi vieilli et que je n'utiliserais plus du tout aujourd'hui, vingt ans après !... J'aurais peur sans doute de l'effet « vintage », justement.

Non, le charme du pola ne réside pas pour moi dans le surgissement d'un instantané jauni, aux teintes chaudes, bien au contraire. Le film Fuji Instax Wide que j'utilise en ce moment restitue au contraire avec une certaine fidélité les couleurs, sans vignettage ni saturation excessive. Ce qui n'empêche pas de nombreux accident (l'émulsion est fragile), des coulures inattendues...

Dans ma pratique, la magie de l'instantané se conjugue donc plus que jamais au présent, voir au futur. Rappelons qu'il y a peu, à l'ère de l'argentique, faire du polaroid c'était presque faire de la photo d'anticipation : au lieu d'attendre plusieurs heures ou plusieurs jours que la pellicule soit développée et les images tirés, l'on obtenait en quelques secondes seulement l'image sur un support rigide et opaque. 

C'était cela reste pour moi magique, sans nostalgie aucune.

vendredi 25 janvier 2013

Le lent cinéma d'une errance photographique : d'autres fragments pour un genre ?







© Yannick Vigouroux, Paris-Marseille, décembre 2011





D'autres fragments pour un genre ?...

Non pas en voiture comme les photos de Karine Maussière, mais en train, cette autre machine à vision en mouvement et vecteur de l'errance artistique.









© Yannick Vigouroux, Paris-Marseille, décembre 2011




Ou simplement à pied, déambulant avec ma box 6x9 cm, sans intention précise, ce que Christian Gattinoni a si justement nommé « Le lent cinéma d'une archéologie prospective » dans un texte d'exposition publié en 2002, toujours prêt à voir surgir au milieu d'une route le chien errant de Daido Moriyama...












vendredi 18 janvier 2013

« La fabrique de l'image : inventer d'autres cameras et paysages sensoriels » (workshop et conférence de Yannick Vigouroux à l'école d'art Gérard Jacot de Belfort, 15-17 janvier 2013)


© Yannick Vigouroux, L'Oasis, Belfort, 16 janvier 2013





Je viens d'animer à Belfort mon premier « workshop » (terme anglais un peu intimidant pour désigner un atelier de pratique artistique) avec un groupe de trente et uns élèves de classe préparatoire de l'école d'art Gérard Jacot. Une belle expérience humaine : j'ai rencontré de jeunes créateurs âgés de 18 à 20 ans, généreux, curieux, plein d'énergie et d'enthousiasme. Je suis très fier du mur d'image organique que nous avons constitué progressivement ensemble dans la salle d'exposition du rez-de-chaussée de l'école !

La veille du premier jour de workshop, la neige a commencé à tomber pendant la nuit sur ville, la forteresse et le vieux Lion d'Auguste Bartholdi. J'ai eu du mal à trouver mon chemin le mardi matin. J'ai découvert en commençant à photographier avec les élèves que les paysages enneigés ressemblaient à un négatif. Les valeurs semblaient inversées, comme les images qu'ils obtiendraient sur papier avec leurs sténopés argentiques... D'emblée, les repères et les perceptions étaient brouillés, quel bonheur.

Quelques images de l'atelier réalisées avec mon smartphone, et mon petit programme... 




 














Sur la photo : la robe conçue par Aurélien Finance, 
portée par Lindsey Carreira.

















© Yannick Vigouroux





L'été, avant de faire la sieste dans ma chambre d'enfant, je m'amusais à observer un grand théâtre d'ombre irisé au plafond. Je voyais tout ce qui se passait dehors malgré les volets fermés, les images se formant à travers un trou des persiennes. Ce fut ma première chambre noire. Plus tard, un maître d'école nous fabriqua une chambre noire dans un carton à chaussure. Un côté était percé d'un petit trou, le côté opposé remplacé par un papier transparent. On voyait les objets apparaître à l'envers sur le fond translucide de la boîte.
Édouard Boubat, La photographie









© Emilie Brotel





« A l'égard des photographies réalisées avec des appareils-jouets d'amateurs (tels que les appareils en plastique, les Instamatic et Agfamatic...) par Bernard Plossu, Serge Tisseron parle d'  «  Images sensations  », par opposition à l'  «  image sensationnelle  », précise et léchée, recherchée par les amateurs férus de technologie (Nuage-Soleil, éditions Marval, 1994).

Ne pas seulement voir les choses avec ses yeux mais avec tous les sens, l'ensemble du corps envisagé comme la camera obscura originelle évoquée par Edouard Bourbat. Ne pas seulement percevoir mais inventer son paysage. Ce sont les gageures de cet atelier.

On pourra à cette fin employer des appareils amateurs en plastique et les ressources paradoxalement créatives de leurs optiques de mauvaise qualité et les effets qu'elles produisent (flou, grain, vignettage...), les transformer en sténopé en enlevant leur optique remplacée par un capuchon percé d'un trou (la même opération est possible avec un appareil numérique ou argentique dit «  normal  »).

On pourra encore fabriquer un sténopé de toute pièce avec une boîte en métal à thé ou à café, une canette, afin d'élaborer sa propre machine sensorielle. Elle ne sera pas forcément fixe, comme les prototypes du cinéma, elle pourra être en mouvement, sonore...

On pourra aussi faire aussi des photos sans appareil-photo en renouant avec les expérimentations des avant-gardes des années 1920, grâce aux photogrammes (ou «  rayogrammes  » ou «  schadographies  ») : les objets déposés sur le papier, de préférence translucides, laissent leur empreinte après que celui-ci ait été insolé dans la chambre noire.

On pourra par exemple réaliser une prise de vue au smartphone avec le logiciel «  vignette  », réglé sur Diana, et rephotographier l'écran de son ordinateur avec le même logiciel mais en mode «  effet 35 mm  » (des exemples de logiciels par mi tant d'autres).

On pourra ajouter ou enlever de la matière, obtenir «  plus  » par soustraction, en multipliant les filtres, les écrans, brouiller les pistes, déréaliser pour ajouter un plus de présence...

Il s'agira dans tout les cas d'appréhender différemment le monde, à une distance et à une autre hauteur... en posant par exemple l'appareil sur le sol, pas forcément à hauteur de regard, et sans forcément s'enfermer dans le rectangle du viseur - les téléphones mobiles nous ont d'ailleurs habitué depuis quelques années à cela...

L'image pourra être séquentielle, en mouvement, sonore, accompagnée de texte (questionner le rapport texte-image)...

Dans ce processus de fabrique de l'image, en l'occurrence celle du paysage, l'accident jouera un rôle important. La dimension empirique aussi, et le plaisir d'avoir de (bonnes) surprises.

Tous les procédés peuvent être mixés, l'expérimentation étant le leitmotiv...


Matériel  :

  • appareils-photo argentiques et numériques de toutes sortes
  • I-phones, smartphones et autres téléphones mobiles (et applications)

  • boîte à thé ou café en métal
  • adhésif opacifiant épais noir
  • aiguille à coudre
  • couteau style Opinel


Les images réalisés par les élèves seront progressivement imprimées et collées dans une salle d'exposition pour constituer un grand mur d'images, une vaste fresque ou mosaïque organique, qui se constituera petit à petit, heures après heures... »


















L'exposition des photographies des élèves est visible jusqu'au 8 février 2013 (salle d'exposition du rez-de-chaussée de l'école d'art).

 
École d'art Gérard Jacot,  
2 avenue de l'Espérance 
90000 Belfort
Tél. : 03 84 36 62 10
















Article d'Emilie Brotel paru dans
 L'Est Républicain du 29 janvier 2013







Article d' Alain Roy paru dans
 Le Pays du 18 janvier 2013










© Yannick Vigouroux, 
Palais de la Découverte, Paris,  19 janvier 2013






En balade avec ma sœur et ma petite nièce le surlendemain de mon départ de Belfort, j'ai photographié dans la salle des expérimentations optiques du palais de la Découverte (Paris) ce sténopé montrant en direct les arbres enneigés.